Le Figaro: « Estonia » : une tragédie maritime à visage humain

Une série revient sur Le terrible naufrage du Ferry qui a fait plus de 800 morts en mer Baltique. Nous avons assisté au tournage de ce projet qui veut éviter tout sensationnalisme. Fictions Reportage Par constance jamet cjamet@lefigaro.fr

Sur le plateau du studio Lites en ce 14 juillet, la première chose qui surprend est la chaleur humide, doublée du vacarme de la soufflerie qui crache des centaines de litres d'eau. Dès que le mot « action » retentit, le comédien finlandais Pelle Heikkilä (Jour polaire) s'élance du plafond vers les flots en furie quelques mètres plus bas. En combinaison de sauveteur, lampe torche scotchée au poignet, il nage de toutes ses forces, dans la houle et sous une pluie battante, vers le radeau à la dérive et l'inspecte pour vérifier qu'aucun corps ne s'y trouve. L'impressionnant bassin de neuf mètres de profondeur et plus de vingt mètres de largeur et longueur en périphérie de Bruxelles héberge le tournage d'une superproduction nordique inédite : Estonia.

Approche documentaire Vingt-huit ans après le naufrage en pleine tempête du ferry, survenu le 28 septembre 1994 en mer Baltique, qui fit plus de n800 morts et laissa à peine une centaine de survivants, les chaînes privées finlandaise, estonienne et suédoise MTV Finland, Telia TV Estonia et C More TV4 s'unissent. Ceci pour raconter, avec les producteurs allemands de Beta (Babylon Berlin, Atlantic Crossing), l'un des plus grands désastres maritimes en temps de paix du XXe siècle.

Ce feuilleton de huit épisodes se veut tout sauf une fiction catastrophe. « Il était hors de question de danser sur la tombe des victimes, de remuer des théories conspirationnistes. L'enquête est le fil rouge de cette série, pas l'accident », explique le créateur finlandais Miikko Oikkonen (Helsinki Syndrom), qui veut confronter les points de vue de passagers, marins et sauveteurs. « Au bout de trois ans, la commission a accouché d'un rapport qui ne donne aucune réponse. En 2019, les accords de confidentialité signés par ses rédacteurs arrivaient à expiration, on a pu plonger dans des milliers de pages de témoignages. Les 3 plaies n'étaient plus à vif », poursuit Oikkonen, qui n'a pas souhaité déranger les associations de victimes.

Certains acteurs ont réussi à force d'entêtement, à rentrer en contact avec leur alter ego, tel Pelle Heikkilä. Son sauveteur, qui a jusqu'ici refusé toute interview et décoration, s'est confié par e-mail. À lui seul, il a sauvé en une nuit une trentaine de naufragés. « Il m'a dit ne pas sentir la fatigue à cause de l'adrénaline. En revanche, récupérer les cadavres les jours suivants l'a miné. Je ne sais pas comment il a tenu. Même avec les 31 degrés du bassin, je finis par avoir froid. C'est un tournage aussi physique qu'un film de guerre », raconte le comédien.

À l'image du naufrage, l'équipe d'Estonia représente toutes les nationalités. Oikkonen a recruté le réalisateur suédois Mans Mansson (Chernobyl) pour refléter toutes les sensibilités. Et de souligner : « Personne n'a exploré la pluralité de nos mémoires collectives. En Suède, le naufrage a été considéré comme notre chagrin. Nous ne nous sommes pas demandé comment l'Estonie, d'où étaient originaires les marins, et la Finlande, d'où venaient les sauveteurs, avaient surmonté ce traumatisme. » Le duo promet une approche documentaire à la Paul Greengrass (Bloody Sunday). Leur retenue a rassuré les familles des disparus. Avec un tournage qui s'achèvera en octobre, Estonia se doit désormais de trouver des diffuseurs. Notamment français. -